Le jeûne d'Esther (Haïm Ouizemann)

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Un texte intéressant qui provient du cours d'hébreu eteachergroup nous parle du rouleau d’Esther en tant que "le jeûne, l’arme du faible".

Le jeudi 11 Adar 5773, le peuple d’Israël jeûnera par anticipation en souvenir de la victoire d’Esther et de son oncle Mordekhaï (Mardochée), de la tribu de Benjamin, descendant d’un frère du roi Saül, sur le complot préparé par Aman, descendant d’Agag l’Amalécite qui ordonna la destruction physique de l’ensemble des Juifs vivant alors en Perse et dans ses 127 provinces.

Ainsi, quelques générations plus tard, Saül fils de Qish n’ayant pas éliminé Agag l’Amalécite, Mordekhaï, descendant de Qish, se retrouve face-à-face avec Aman, descendant d’Agag. En d’autres termes, Mordekhaï, avec l’aide de sa nièce Esther, est chargé de terminer la mission que Saül n’avait pas achevée: éliminer Agag (1 Samuel 15, 1-10).

Le nom de ce jeûne, (Ta’anit Esther תַעֲנִית אֶסְתֵּר,), provient de la racine hébraïque ע.נ.ה (Ina’). Les substantifs «עָנִי» (Ani, «pauvre») (Deutéronome 24, 15); «עָנָו» (anav, «humble») (Nombres 12, 3), «עֹנִי» (oni misère) (Exode 3, 7) trouvent leur origine dans cette même racine du verbe ע.נ.ה.  signifiant «éprouver», «souffrir»:
«וּבֶעָשׂוֹר לַחֹדֶשׁ הַשְּׁבִיעִי הַזֶּה מִקְרָא-קֹדֶשׁ יִהְיֶה לָכֶם וְעִנִּיתֶם אֶת-נַפְשֹׁתֵיכֶם» (במדבר כ”ט, ז’).

«Et au dixième jour de ce septième mois, il y aura pour vous convocation sainte: vous mortifierez vos âmes» (Nomb. 29, 7);
…«faire pression»:
«וְזָכַרְתָּ אֶת כָּל הַדֶּרֶךְ אֲשֶׁר הוֹלִיכְךָ יְהוָה אֱלֹהֶיךָ זֶה אַרְבָּעִים שָׁנָה בַּמִּדְבָּר לְמַעַן עַנֹּתְךָ לְנַסֹּתְךָ לָדַעַת אֶת-אֲשֶׁר בִּלְבָבְךָ הֲתִשְׁמֹר מִצְו‍ֹתָו אִם לֹא» (דברים ח’, ט”ז)

«Tu te rappelleras cette traversée de quarante ans que l’Éternel, ton Dieu, t’a fait subir dans le désert, afin de t’éprouver par l’adversité, afin de connaître le fond de ton cœur, si tu resterais fidèle à ses lois, ou non» (Deutéronome 8, 16).
… mais aussi «répondre»:
«מִן הַמֵּצַר קָרָאתִי יָּהּ; עָנָנִי בַמֶּרְחָב יָהּ» (תהילים קי”ח, ה’)

« Du fond de ma détresse j’ai invoqué l’Eternel: il m’a répondu [en me mettant] au large» (Psaumes 118, 5).
Par la contrition sincère, l’homme s’ouvre au Tout-Puissant qui répond à ses prières.
Le but du jeûne est didactique (cf. verset Deutéronome 8, 16) et consiste à éduquer l’homme à une attitude de modestie intérieure, d’introspection, de repentance ou retour sur soi-même (תְּשוּבָה Teshouva) et de purification:
«כִּי בַיּוֹם הַזֶּה יְכַפֵּר עֲלֵיכֶם לְטַהֵר אֶתְכֶם» (ויקרא ט”ז, ל’).«Car en ce jour, on fera propitiation sur vous afin de vous purifier» (Lévitique 16, 30).
C’est ce que dit en substance Jésus, quand il constate que certains «démons» (que l’on appellerait aujourd’hui des «mauvais penchants») ne peuvent être vaincus que par «le jeûne et la prière» (Marc 9, 25-29). Il met cependant l’accent sur l’approche très intime, très personnelle, du jeûne de contrition: on jeûne devant Dieu, mais pas devant les hommes (Matthieu 6, 16-18).
Le jeûne d’Esther commémore dans le Rouleau d’Esther (Meguilat Esther- מְגִילַת אֶסְתֵּר) le jeûne demandé par la reine Esther pour contrecarrer les desseins funestes d’Aman:
«לֵךְ כְּנוֹס אֶת-כָּל הַיְּהוּדִים הַנִּמְצְאִים בְּשׁוּשָׁן וְצוּמוּ עָלַי וְאַל תֹּאכְלוּ וְאַל-תִּשְׁתּוּ שְׁלֹשֶׁת יָמִים לַיְלָה וָיוֹם גַּם אֲנִי וְנַעֲרֹתַי  אָצוּם כֵּן וּבְכֵן אָבוֹא אֶל הַמֶּלֶךְ אֲשֶׁר לֹא-כַדָּת וְכַאֲשֶׁר אָבַדְתִּי אָבָדְתִּי» (אסתר, ד’, ט”ז)«Va rassembler tous les juifs présents à Suse, et jeûnez à mon intention; ne mangez ni ne buvez pendant trois jours ni jour ni nuit moi aussi avec mes suivantes, je jeûnerai de la même façon. Et puis je me présenterai au roi, et si je dois périr, je périrai!» (Ester 4, 16)
Le terme צּוֹם mentionné ici, synonyme de תַעֲנִית, renvoie au mot צִמְצוּם (TsimTsoum): «retrait, contraction, intériorisation». L’homme réduit volontairement ses besoins physiques afin de développer la dimension spirituelle cachée en l’intimité de son être et atteindre à la maitrise de soi.

Par ailleurs, les Hébreux avaient pour devoir de jeûner avant de s’engager dans la bataille:
«וַיֹּאֶל שָׁאוּל אֶת הָעָם לֵאמֹר אָרוּר הָאִישׁ אֲשֶׁר יֹאכַל לֶחֶם עַד הָעֶרֶב וְנִקַּמְתִּי מֵאֹיְבַי וְלֹא-טָעַם כָּל הָעָם  לָחֶם» (שמואל א’, י”ד, כ”ד).«Saül avait adjuré le peuple en disant: “Malheur à celui qui prendrait de la nourriture avant le soir, avant que j’aie fait justice de mes ennemis!” Et le peuple entier ne goûta quoi que ce fût» (Samuel I 14, 24).
Pourquoi Saül ordonne-t-il un jeûne complet à ses troupes? Ne les affaiblit-il point et ne risque-t-il point de les mener à un échec militaire certain?
«וְאָמַרְתָּ בִּלְבָבֶךָ כֹּחִי וְעֹצֶם יָדִי עָשָׂה לִי אֶת-הַחַיִל הַזֶּה  וְזָכַרְתָּ, אֶת יְהוָה אֱלֹהֶיךָ כִּי הוּא הַנֹּתֵן לְךָ כֹּחַ  לַעֲשׂוֹת חָיִל לְמַעַן הָקִים אֶת בְּרִיתוֹ אֲשֶׁר נִשְׁבַּע לַאֲבֹתֶיךָ» (דברים ח’, י”ז-י”ח).«…et tu diras en ton cœur: “C’est ma propre force, c’est le pouvoir de mon bras, qui m’a valu cette richesse.” Non! C’est de l’Éternel, ton Dieu, dont tu dois te souvenir, car c’est lui qui t’aura donné le moyen d’arriver à cette prospérité, voulant accomplir l’alliance jurée à tes pères» (Deutéronome 8, 17-18).
Israël, affaibli physiquement et en son orgueil par le jeûne, valorise non point la force armée mais la grandeur de Dieu qui lui apporte la victoire. La victoire militaire remportée sur l’ennemi n’appartient point aux Hébreux affaiblis mais au Dieu Tout-Puissant, l’éternel Gardien de Son Peuple. Moïse, selon la tradition, aurait lui aussi jeûné avant de défendre Israël contre Amaleq, l’ancêtre d’Aman:
«וַיַּעַשׂ יְהוֹשֻׁעַ, כַּאֲשֶׁר אָמַר-לוֹ מֹשֶׁה–לְהִלָּחֵם, בַּעֲמָלֵק; וּמֹשֶׁה אַהֲרֹן וְחוּר, עָלוּ רֹאשׁ הַגִּבְעָה» (שמות י”ז, י’).«Josué exécuta ce que lui avait dit Moïse, en livrant bataille à Amaleq, tandis que Moïse, Aaron et Hour montèrent au haut de la colline» (Exode 17, 10).

«Moïse, Aaron et Hour»: «…Tous les trois étaient en plein jeûne» (Commentaire de Rashi sur ce verset).
Le jeûne est donc l’arme du faible. Il constitue un moyen pour l’homme exténué moralement, sans forces, de réduire volontairement ses forces physiques (תַעֲנִית). Alors l’homme concentre toute son attention sur ses forces spirituelles, redécouvre et renforce son lien avec Dieu. Alors, Dieu peut lui répondre (עָנָה):
«אֹודְךָ כִּי עֲנִיתָנִי וַתְּהִי־לִי לִישׁוּעָה׃» (תהילים קי”ח, כ”א).

«Je te célébrerai de ce que tu m’as exaucé et de ce que tu as été mon libérateur» (Psaumes 118, 21).
 
Haïm Ouizemann